T.P.F.E – Lionel Larre


GALERIE

TRAVAIL PERSONNEL DE FIN D’ETUDES

REFLEXIONS SUR L’AVENIR DE L’ARCHITECTURE BASQUE

Directeur d’études : Xavier LEIBAR – Second enseignant : Michel ROUTON

LA DEMARCHE

Rien n’est plus compliqué que de simplifier le réel, en le transformant en support de réflexion opérationnel. Nous avons donc vu que le rapport avec le patrimoine est de première importance pour tenter de dégager une compatibilité entre la créativité contemporaine et une mémoire régionale, afin que les réalisations nouvelles puissent faire surgir « non pas un fantôme, mais l’épaisseur vivante d’une présence » (1)

De même, la force d’un parti architectural, en apparence évident et clair, ne s’obtient que par une sophistication dans la démarche, supposant l’établissement d’une forme d’affirmation dans la création fondée sur une perpétuelle remise en question. La recherche de la vérité, de la réalité réelle présuppose à mon sens la libération des signes codés. Une écriture architecturale minimale peut permettre, bien au-delà d’une simple affirmation de l’apparence d’une appartenance, de retourner à l’essence même des choses, à l’essentiel.

Une manière d’aborder le problème consiste à penser que la pluralité peut ne pas être subordonnée à l’unité, qu’une architecture débarrassée de tous ses accessoires peut permettre une multitude de points de vue, la richesse symbolique d’un bâtiment pouvant s’accorder à une apparente simplicité, s’imposant sans prêter à équivoque. C’est à ce prix que l’architecture basque pourra tendre à l’universel, c’est à dire sera jugée suivant sa qualité et plus son degré d’appartenance, « l’universel » résidant dans la qualité du particulier. Chaque réalisation peut alors constituer le jalon d’une « quête du Graal », celle de la Vérité et du Juste insérée dans la recherche d’une attitude réellement critique vis-à-vis de la culture et de la société basques. Nous pouvons retrouver cette conception de l’architecture dans les sculptures d’Eduardo Chillida, pour qui « la sobriété, l’austérité et la simplicité ascétique sont la résultante de l’élimination du superflu et de l’ornemental » (2)

L’architecture peut alors être considérée comme une démarche unitaire où plans, coupes et façades participent d’une logique unique, comme dans l’architecture traditionnelle. Un tel dépouillement représente une tâche difficile, sans cesse soumise au harcèlement de l’explication et de l’appartenance à un style interdisant tout décalage. Or « le sens ne peut être donné dans la représentation (…), mais évolue dans les interstices et les intervalles venant la troubler. » (3) Pour K. Frampton, le régionalisme critique évolue dans ces fissures culturelles, qu’il nomme des « interstices de liberté », tout en s’éloignant paradoxalement d’une civilisation universelle (4) Les réalisations actuelles entretiennent l’illusion d’une invariance. Celles à venir se doivent d’introduire un doute, une faille, permettant d’accéder à des questions essentielles, universelles, remettant en cause l’utopie d’une cohérence intemporelle entre le sens et la forme, tout en nourrissant le débat intellectuel de notre époque.

Je reste intimement convaincu que le Pays Basque peut développer une architecture moderne, et l’accepter. Intelligence et imagination apparaissent alors comme des conditions vitales à l’épanouissement de cette culture. L’avenir de l’architecture au Pays Basque ne dépend donc que des acteurs de cette société, témoignant de la confiance et des espoirs qu’ils placent en elle. Une telle conception de l’architecture ne correspond plus à l’expression rigide d’une identité imposée. En ce qu’elle exprime de réflexions croisées de l’architecte, considéré comme un acteur culturel et social, elle mène plutôt à la recherche d’une identité et d’une sensibilité propre à son auteur. L’acte de création ne peut alors avoir comme ambition que de se découvrir soi-même, tant dans la production que dans la perception de l’œuvre bâtie par les usagers.

Ainsi la pluralité culturelle et géographique du Pays Basque pourra-t-elle s’affirmer en architecture. Nous pouvons alors penser, avec M. Ragon, que  » le problème n’est pas d’intégrer ou de ne pas intégrer, mais d’apporter dans le paysage régional une créativité architecturale. C’est à dire de continuer à faire vivre l’architecture.  » (5) Cette vitalité, par l’affirmation d’une créativité architecturale, devra constituer l’élément fondateur de l’identité de la société basque, son âme (du latin : anima) étant mouvement, évolution, vie. Tous ces éléments plaident pour un dynamisme culturel, condition nécessaire à un réel avenir pour l’architecture au Pays Basque.

Les réalisations pourraient alors correspondre à la conception de la modernité de M. Leiris, « une œuvre dans laquelle l’artifice semble avoir été dépassé et qui- à cause de l’émotion singulière que j’en ressens, à la fois touché en un point des plus secrets et soulevé, si je me fie à mon impression, par une douce houle que modèlerait le souffle de l’universel m’apparaît comme faisant tomber sous le sens que l’homme peut- a l’inverse des autres bêtes, incapables de sortir de leurs rails – atteindre à cette seconde vie qui n’est pas une victoire sur la mort mais, tel un élan amoureux, une façon de vivre plus intensément en croyant mourir un peu. » (6)

(1) Le ruban au cou d’Olympia, p. 272, op. cit.
(2) A. DAVID et J. F. LARRALDE, « Chillida – L’architecte du vide », p. 70, Pays Basque magazine, mai-juin-juillet 1996, N°2.
(3) Je, Nous et les autres, p. 133, op. cit.
(4) L’architecture moderne – une histoire critique, p. 284, op. cit.
(5) M. RAGON, « Pour la qualité : décadence ou renouveau ? », p. 16, Architecture, octobre 1980, N°18.
(6) Le ruban au cou d’Olympia, p. 170, op. cit.

LE PROJET

Le projet a pris la forme de la création d’un immeuble de logements sur le Quai Ravel à Ciboure (64). Cet immeuble représente une relecture de l’architecture traditionnelle associée à une interprétation du site, à la fois du point de vue de la forme et du sens, loin de toute évocation sentimentale. Cette architecture peu bavarde, économe en signe, va à l’essentiel du plan et de la matière. Elle autorise une certaine émotion, reternant aussi bien les archaïsmes fondateurs que les intelligences les plus actuelles, opérant un tri sans concession, procédant par élimination du superflu, dans ce qu’offre la culture contemporaine. Guidée par une esthétique exigeante, elle permet de retrouver, par la simplicité de ses formes (résultant d’une sophistication dans la démarche), une communication directe, primale, loin de tout pastiche régionaliste, entre le corps de l’architecture et celui de l’homme.

Le vocabulaire architectural utilisé n’a, au premier abord, rien à voir avec le reste du quai : cependant, la simplicité des volumes et de la lecture des matériaux assurent son insertion dans le site, tissant des liens avec les constructions existantes, parallèlement à l’affirmation d’une forme de modernité. Les façades joue avec de nombreux contrastes, répondant à ceux du site : le massif et le léger, le fin et l’épais, le plein et le vide, le clair et le sombre, les creux et les saillies, l’ouvert et le fermé.

Depuis le quai, les reliefs de façade sont très visibles, la largeur de la voie n’autorisant que très peu de recul par rapport aux bâtiments. La perception depuis la place Louis XIV, à St Jean de Luz, est totalement différente. On perçoit un patchwork d’habitations, aux reliefs de façades très peu perceptibles. Principalement délimitées par leur silhouette, elles semblent posées sur un soubassement liquide. Ce quai, constituant une véritable « vitrine » architecturale, par sa linéarité et la variété des bâtiments qui le composent, m’est apparu comme une occasion privilégiée d’établir un dialogue ouvert entre ceux-ci et mon projet.

Les deux éléments du plan (blocs fermés, plateaux ouverts) se retrouvent en façade. Cette juxtaposition de « boîtes » permet de s’intégrer dans la succession des façades des bâtiments constituant le quai, et d’éviter une trop grande horizontalité de la façade. Ces blocs renvoient également à l’architecture traditionnelle (« maisons-blocs »).

Les loggias constituent, quant à elles, des « boîtes » s’ouvrant ou se fermant suivant la course du soleil Ceci renvoie à la mythologie basque (cf stèles, vénération du soleil…) : cette façade vit pour et par le soleil (travail sur les ombres…). Ces loggias, jouant un rôle de filtre, sont closes par des persiennes de bois fixes non porteuses, clairement différenciées de la structure béton et des blocs maçonnés. Le traitement du socle renvoie au minimalisme de l’architecture traditionnelle, permettant d’éclairer naturellement le parking, situé au rez-de-chaussée (la proximité de la mer empêchant de l’enterrer).

La façade arrière des bâtiments formant le quai donne sur une ruelle parallèle au quai, la rue Pocalette, formant un bric-à-brac architectural délicieux, espace minéral et intime, d’où démarre une colline boisée, sur laquelle s’étage le reste de la ville. Les ruelles coudées se perdent dans la végétation et l’entassement des vieilles bâtisses, les escaliers à flanc de colline tournent autour de l’église St Vincent, l’odeur iodée des bourrasques de vent se répandent dans cet espace minéral baigné de silence… Tous ces éléments participent à la définition d’un lieu très particulier.

La façade sur la rue Pocalette porte ainsi des intentions très différentes. Toujours caractérisée par une esthétique minimaliste, la composition de façade joue maintenant avec les remplissages -la structure en voiles béton est visible- plus en accord avec l’échelle du lieu : la pierre sèche pour les blocs maçonnés, des panneaux de persiennes orientables pour les espaces ouverts. Ces panneaux donne nt une texture « épidermique » à cette façade: ils jouent ici un rôle de protection solaire. Les possibilités d’ouverture sont beaucoup plus variées, permettant un contrôle plus fin de la lumière, agressive l’après-midi.